Première partie : Quels moyens ? Pour quels résultats ?
Étudiants du DESS
En France, la recherche en archivistique, extrêmement liée à la pratique, ne semble pas véritablement reconnue en tant que telle. Quelles en sont les raisons ? Peut-on faire la part entre pratique et recherche ? La théorisation de la pratique est-elle la seule forme de recherche en archivistique ? Une telle démarche n’offre-t-elle pas une vision réductrice de cette recherche ? Et surtout, pourquoi ce manque de structure d’accueil de la recherche, ce manque de reconnaissance par la profession et les institutions académiques ?
Ces différentes questions seront abordées par Bruno GALLAND, conservateur en chef chargé de la section ancienne au Centre historique des archives nationales et par Philippe CHARON, Directeur des Archives départementales de la Sarthe, qui dresseront un historique de la recherche en archivistique en France en rappelant ses moyens actuels, puis présenteront des cas concrets de pratiques et de recherches en archivistique.
Par M. Galland
L’objet de la réflexion engagée aujourd’hui est de comprendre pour quelle raison l’archivistique n’est pas reconnue, en France, comme un domaine de recherche à part entière. Il s’agit aussi non seulement d’apprécier l’intérêt qu’elle aurait à le devenir, mais aussi de déterminer de quelle manière elle pourrait être reconnue. Cette problématique part du sentiment, peut-être aussi du postulat, qu’en France, l’archivistique n’est pas une discipline de recherche reconnue comme telle.
L’archivistique, domaine de recherche
Ce sentiment doit être un peu nuancé. Tout d’abord, parce que beaucoup d’autres disciplines ne forment pas un domaine de recherche spécifique, ne donnant pas lieu à des laboratoires particuliers ou à des validations universitaires spécifiques. Ensuite, beaucoup de disciplines qui sont des domaines de recherche incontestés ne sont cependant pas comprises comme des variantes d’une discipline fondamentale. Je pense en particulier à toutes les disciplines auxiliaires de l’Histoire que connaissent bien les archivistes, notamment la diplomatique et la paléographie – je suis chargé de la Section ancienne, vous ne vous étonnerez donc pas que je m’y arrête une minute, puisqu’elle m’est familière.
La paléographie, science auxiliaire de l’Histoire pose une problématique qui n’est fondamentalement pas différente de celle que nous nous proposons d’étudier ici. C’est un débat fort ancien parmi les paléographes de savoir si la paléographie est seulement une pratique, un déchiffrement ou s’il s’agit d’une discipline à part entière et donc d’un domaine de recherche. Certains l’ont circonscrite au seul déchiffrement, à la nomenclature des écritures, et d’autres l’ont étendue à la compréhension de l’acte même d’écrire, à l’analyse du rôle social de l’écriture, considérant dès lors qu’il s’agissait d’un domaine de recherche spécifique lié à l’Histoire mais non pas confondu avec elle. Bien sûr, il n’existe pas de diplôme de doctorat de paléographie mais les revues, les chaires qui existent dans certains établissements, l’existence d’une organisation internationale de publications spécifiques, attestent de la réalité et de la vitalité de ce domaine de recherche.
Je crois que le problème en archivistique est un peu le même. La recherche en archivistique existe et se développe depuis plusieurs années, mais ses racines remontent plus loin. Bien sûr, elle est peut-être insuffisamment connue et pourrait certainement être davantage développée. L’archivistique ne prend pas encore la forme d’une investigation ponctuelle dans un espace de temps déterminé – sauf pour certains programmes de recherche dont je vais parler précisément – ; elle prend, elle a plutôt pris la forme d’un échange de réflexions espacées dans le temps. Il n’empêche, l’expérience existe. Des structures fondamentales sont en place et des recherches sont d’ailleurs en cours à l’heure actuelle. Le rapport qui nous a été demandé à Philippe Charon et à moi-même va nous permettre de développer ce point.
« Quels moyens pour quels résultats ? ». Il s’agissait pour nous, selon le désir des organisateurs, de réfléchir aux structures déjà existantes, à leur évolution dans le temps, mais aussi à l’intérêt des travaux de recherche déjà engagés pour l’évolution de notre pratique professionnelle. Dans un premier temps, nous nous intéresserons donc aux moyens pour rappeler quelles structures accueillent aujourd’hui les travaux de recherche ; et dans un second temps, nous apprécierons les résultats déjà obtenus ou à obtenir à partir de cas concrets de quelques domaines de recherches déjà ouverts.
Les moyens et les structures de la recherche en archivistique
1. Un peu d’histoire
La recherche en archivistique en France s’est développée progressivement. D’une part, autour de l’instance nationale de contrôle que constitue la Direction des archives de France ; d’autre part, au sein des organisations professionnelles nationales ou internationales. L’archivistique est probablement, à mon avis, l’une des professions pour laquelle les professionnels ont le plus réfléchi aux principes fondateurs de la pratique. L’organisation initiale du système archivistique français était toute pratique : les archives nationales étaient et sont organisées autour des fonds dont il fallait et faut poursuivre l’inventaire – je ne suis pas tout à fait d’accord avec Carol Couture quand il dit qu’établir des instruments de recherche ce n’est pas faire de la recherche en archivistique.
Les services d’archives départementales, qui étaient aussi des services opérationnels, ne relevaient, au sein du Ministère de l’Intérieur, que d’une structure administrative. Et pourtant, au milieu du xixe siècle, la création d’une Commission supérieure des archives était bien une reconnaissance de la nécessité d’une instance de réflexion dont les discussions permettraient d’influencer la pratique. Cette Commission supérieure est à l’origine d’un texte fondamental : l’instruction d’avril 1841 pour la mise en ordre et le classement des archives départementales et communales[1]. Ce texte sur lequel nous vivons encore, comme l’a bien rappelé la circulaire de décembre 1998 sur le cadre de classement[2], pose des principes qui, pour être pratiques, n’en sont pas moins le résultat d’une réflexion approfondie sur certains points :
- le respect des fonds, nouveauté en France (il n’y a qu’à voir le cadre de classement des archives nationales) ;
- l’existence d’un cadre de classement alphabétique qui sera ultérieurement développé ;
- la définition de l’article qui figure dans l’instruction de 1841, définition dont la subtilité est encore souvent méconnue.
Les instructions de janvier 1854 qui émanent également de la même Commission supérieure posent les premiers jalons d’une identification des éléments de description, qui a encore été approfondie depuis.
2. L’Association des archivistes français et la Gazette des archives
Plus près de nous, à partir des années 1950, l’Association professionnelle des archivistes français a accueilli dans sa Gazette des archives des articles de réflexion qui en ont fait le cadre naturel du développement de la réflexion – peut-être un peu moins au cours des toutes dernières années, mais c’est un propos délicat à dire en présence de l’ancien et du nouveau président de l’Association des archivistes français.
L’Association élabora dès 1970 le premier manuel d’archivistique français[3] qui venait rejoindre des publications comparables de pays étrangers[4]. La Gazette des archives a aussi accueilli les articles de Michel Duchein sur l’archivistique générale ou sur des aspects particuliers[5], les articles de Yves Pérotin, de Gérard et Christiane Naud sur le traitement des archives contemporaines[6], l’article d’Olivier Guyot-Jeannin[7]. Nous pourrions en citer bien d’autres. Je ne parle pas ici des articles sur l’éthique ou du rôle de l’archiviste dans la société. La Gazette a ainsi contribué au développement d’une réflexion théorique nourrie de l’expérience pratique.
3. Le Conseil international des archives
Après la Seconde guerre mondiale, l’ouverture sur les pratiques d’autres pays a été facilitée par l’existence du Conseil international des archives. Cette ouverture a constitué, en France comme ailleurs, l’aiguillon d’une réflexion nationale, et aujourd’hui plusieurs comités du Conseil international des archives sont des comités de réflexion et de recherche à part entière au sein desquels les archivistes français sont d’ailleurs bien représentés :
- le comité sur les nouvelles technologies ;
- le comité sur les archives courantes dans les environnements électroniques ;
- le comité sur les archives courantes dans les environnements traditionnels ;
- les deux comités sur les bâtiments d’archives ;
- les deux comités sur la préservation ;
- le groupe de travail sur la terminologie archivistique auquel appartient Philippe Charon ;
- le comité de sigillographie ;
- le comité sur les normes de description.
Les organes du Conseil international des archives témoignent davantage de ces travaux que les congrès quadriennaux qui, pour le moment, ne reflètent pas forcément l’activité des comités spécialisés.
4. La Direction des archives de France
Cette réflexion de la communauté archivistique est aussi en étroite relation avec celle qui s’est développée, qui se développe, au sein même de la Direction des archives de France. La réglementation même, les circulaires les plus modestes ou les plus fameuses, tirent les conclusions de cette réflexion et je pense en premier chef à la circulaire du 31 décembre 1979 sur la série continue dans les archives départementales[8] qui est le résultat d’une réflexion de fond sur le traitement des archives contemporaines.
Je pense aussi au thésaurus diffusé pour l’indexation de la série W[9] qui est l’aboutissement d’un certain nombre de groupes de travail et de réflexion, d’un programme de recherche même s’il n’est pas qualifié comme tel. Dans le même ordre d’idée, mais je crois que Philippe Charon en parlera, les circulaires de tri des archives contemporaines sont de plus en plus le résultat de travaux de groupes réunissant archivistes, administrateurs et parfois aussi historiens.
Au cours des dernières années, la Direction des archives de France a repris aussi une activité de publications théoriques. Il faut bien sûr se reporter à la publication en 1993 de la Pratique archivistique française[10] qui, malgré son titre, n’est pas seulement un ouvrage de pratique. La Direction a également publié plusieurs ouvrages : le Manuel[11] toujours utilisé, l’ouvrage de Michel Duchein sur les bâtiments d’archives qui marque une étape dans la réflexion et dans les recherches en matière de conservation et de conception des espaces[12]. Plus récemment, l’ouvrage d’Hervé Bastien, Droit des archives[13], qui est un des ouvrages fondamentaux de la recherche en archivistique : il a ouvert des perspectives absolument neuves dans la conception que nous avions de notre métier et il a permis de reprendre ensuite, sur une base solide, la réflexion et la recherche sur les principes de la collecte, sur les dispositions légales en la matière, en matière de communication, en matière d’archives privées, etc. Permettez-moi encore de citer le manuel de Christine Nougaret et Bruno Galland sur les instruments de recherche[14], qui reprend un sujet plus largement balisé mais à la lumière des réflexions internationales les plus récentes.
Aujourd’hui, la Direction des archives de France a entamé des programmes de recherche dont la définition et le suivi sont assurés, au sein de la Direction, par le Service technique de la Direction des archives de France qui s’appuie sur l’ensemble du réseau archivistique français, en particulier sur les archives nationales, et aussi sur un service spécialisé du Ministère de la culture prénommé « Mission de la recherche et de la technologie ». Régulièrement, des schémas stratégiques de la recherche dans le domaine des archives sont présentés à l’occasion de réunions interministérielles. Les programmes les plus récents s’articulent autour de trois directions :
- la maîtrise de la collecte avec deux axes de recherche : la méthodologie en matière de collecte et de tri[15] et la collecte et la conservation des archives électroniques ;
- la conservation matérielle, avec des programmes de recherche sur la qualité de l’air dans les magasins, la permanence des papiers et des encres, les procédés de restauration ou la conservation préventive des bulles de plomb ;
- la rédaction de manuels de méthodologie et de manuels normatifs.
Si je récapitule le tableau actuel des structures qui existent, nous avons donc :
- notre organisation professionnelle nationale, l’Association des archivistes français ;
- une organisation internationale, le Conseil international des archives ;
- notre institution nationale, la Direction des archives de France.
La recherche en archivistique, une recherche pratique
C’est vrai, la recherche en archivistique en France est une recherche pratique, une recherche intimement liée à la pratique. Les grands théoriciens des archives depuis Natalis de Wailly, jusqu’à Henri Charnier, de Gérard Naud à Michel Duchein, étaient et sont également de grands praticiens. Le lien est donc très fort.
Cette situation a ses avantages
- la définition des programmes est fondée sur des besoins réels, sur une bonne connaissance des besoins immédiats ;
- il y a une grande facilité d’application, et il y a une meilleure diffusion des résultats grâce, précisément, aux relais des organisations.
Mais aussi, c’est vrai, quelques inconvénients :
- probablement une difficulté à anticiper les besoins : dans l’argumentaire préparé par les organisateurs de la journée, nous trouvons cette constatation que la recherche théorise la pratique plus qu’elle ne l’anticipe et c’est souvent vrai ;
- une difficulté aussi, et sans doute la difficulté principale, à inventer des solutions ou des directions radicalement différentes de ce que nous connaissons : parce que le lien est très fort entre la réflexion et la pratique, nous sommes très liés aux structures existantes et aux directions qui ont déjà été engagées.
- Charon
Je suis un archiviste de la pratique qui nous concerne tous au quotidien à savoir : le classement, le traitement des archives et la rédaction des instruments de recherche. Bruno Galland reprendra la parole pour faire état des recherches et des résultats de la recherche concernant la dernière norme publiée par le Conseil international des archives[16] et le projet de norme d’encodage des instruments de recherche, norme DTD(EAD)[17].
Je ne vous surprends sans doute pas en vous affirmant, après Bruno Galland, que la recherche en archivistique connaît en France une véritable vitalité même si certains domaines comme celui, peut-être, des archives électroniques peuvent paraître délaissés ou du moins plus éloignés de nos thèmes de recherche et d’étude. Mais s’il s’agit, pour ce cas précis et à mon sens, d’une fausse apparence ou de la conséquence d’une problématique mal posée ou mal comprise.
La recherche archivistique française : présentation et étude comparée
Je veux souligner également l’un de mes principaux regrets : pour que les archivistes s’approprient les résultats de la recherche archivistique en France et les mettent en œuvre dans leurs pratiques quotidiennes de traitement de leurs fonds et collections, il faut que ces résultats aient été préalablement validés par la Direction des archives de France ou que l’étude, le programme de recherche en ait été initié par elle. Cet état de fait est dû, en partie, à l’organisation de notre système archivistique. Il donne ainsi l’impression que tout le monde n’est pas autorisé à jouer dans la cour des grands. Ce n’est pas tout à fait le cas au Canada, aux États-Unis ou encore en Australie, pays dans lesquels la recherche émane tant d’institutions officielles que d’associations professionnelles ou d’universités. Mais je rappelle que, dans ces pays, les universités remplissent le rôle de services d’archives et sont des services d’archives à part entière. De même, au sein du Conseil international des archives une section particulière existe : la section des archivistes d’universités.
Ce n’est pas le cas en France. Je ne connais pas d’université où il existe un service d’archives véritablement constitué et qui s’occupe non seulement des archives de l’université, mais développe aussi des sujets de recherche. Il y a peut-être là une explication aux inconvénients que Bruno Galland a évoqués et que j’évoque également.
Cependant, paradoxe de cette situation, ces étrangers nous envient notre organisation archivistique qui demeure, quoi que l’on en dise, centralisée, tandis que certains parmi nous aimeraient introduire un peu de ce qui se passe à l’étranger. Si tel était le cas, ce serait peut-être alors au détriment de notre pratique homogène et uniformisée qui fait que, de Pau à Lille, la pratique, appuyée sur la recherche, reste la même. Et j’ajoute qu’il y a, à mon sens, de la place pour tout le monde en la matière.
La recherche en archiviste connaît une vraie vitalité. Elle vise par ailleurs à une application pratique de ses résultats. Elle n’échafaude pas de la théorie pour de la théorie comme le font par exemple les archivistes australiens avec leur norme sur le Records Management[18]. Ann Pederson est aussi très active mais elle échafaude des théories, de nouveaux concepts, schémas à l’appui, assez incompréhensibles sur lequel, d’ailleurs, l’ensemble des archivistes de langue anglo-saxonne ne sont pas tout à fait d’accord : ils ne se comprennent pas entre eux.
Dernier constat. La recherche en archivistique en France n’est pas repliée sur elle-même : elle s’associe à d’autres disciplines et tire le meilleur parti d’apports extérieurs, tant de professions voisines que de la communauté internationale.
Recherche et pratique : un combat commun
Après ces propos liminaires, je souhaite illustrer à travers quelques exemples de domaines où la recherche et la pratique se répondent et s’épaulent. Il s’agira de trois domaines : la conservation matérielle et préventive, le droit des archives et le traitement.
1. La conservation matérielle et préventive
Les archivistes sont restés longtemps peu préoccupés des problèmes de conservation et de préservation des documents d’archives, peut-être par manque de moyens. Lorsque j’évoque ces questions, il me revient à l’esprit l’image du conditionnement des minutes notariales dans le service où j’ai fait mes premières armes. Elles étaient enliassées dans de grossières chemises, maintenues ensemble par une ficelle, le tout emballé, pour ne pas dire plus, dans des pochettes plastiques. Cet état remonte à un peu plus de dix ans, mais cette situation durait depuis une trentaine d’années.
J’évoquais le problème des moyens. Les choses ont bien changé et dans le bon sens. On peut dire maintenant qu’il n’existe pas un seul service d’archives en France où un plan de reconditionnement, un plan de conservation préventive et matérielle, n’est pas mis en place. Beaucoup de progrès ont été faits sur les conditions de conservation des documents et sur les méthodes préventives. La confrontation avec d’autres professions, les musées ou les bibliothèques, a été fructueuse. Je cite à mon tour Michel Duchein : c’est en 1966, qu’il a publié Les Bâtiments d’archives[19], premier ouvrage dans lequel il remettait en cause notre réflexion et notre pratique en matière de bâtiments et de conservation.
Les normes actuelles de conservation ont été données dans l’ouvrage de Françoise Flieder et de Michel Duchein Livres et documents d’archives, sauvegarde et conservation[20]. Les Directions des archives de France, du livre et des musées se sont mises d’accord sur ces normes ; il s’agit d’un point important qui montre que la recherche en archivistique n’est pas repliée sur elle-même mais déborde sur des disciplines associées. On doit tout ce travail, on ne le dira jamais assez, aux travaux menés depuis les années 1970 par le Centre de recherche sur la conservation des documents graphiques[21]. Nous aurions tort également d’oublier les recherches dans ce domaine de l’Association pour la recherche scientifique pour les arts graphiques (ARSAG)[22]. Nous disposons maintenant de normes sur l’hygrométrie, le chauffage, l’éclairage, la ventilation des locaux de conservation, etc. ; ces normes traduisent de réelles préoccupations en matière de conservation. Elles sont le résultat de véritables programmes de recherche où des disciplines scientifiques, telle la chimie, interviennent.
Les recherches dans le domaine de la restauration et de la reliure, réunissant bibliothécaires et archivistes, ont récemment abouti à la rédaction d’un cahier des charges[23], véritable vademecum pour discuter avec les ateliers privés.
La recherche s’est également intéressée aux conditions d’exposition tant des documents d’archives, des livres et des manuscrits, que des objets de musée. Un groupe de travail s’est constitué au sein de l’AFNOR[24] ; nous devrions bientôt disposer du résultat de ces travaux qui prendra la forme d’une norme sur l’exposition des documents. Là encore, l’archiviste disposera d’un vademecum. La conservation matérielle et préventive est ainsi un domaine où la recherche a véritablement changé nos pratiques.
2. Le droit des archives
L’avancée de la connaissance du droit des archives doit beaucoup à l’apport de juristes, aux recherches qu’ils mènent dans le domaine, par exemple, sur la notion de droit d’auteur ou bien encore sur la notion de propriété littéraire artistique. Je pense que les archivistes n’ont pas de compétences particulières dans le domaine du droit proprement dit et il est heureux que les juristes s’y intéressent de plus en plus. Nous avons ainsi pu obtenir, sinon des réponses fermes, du moins des éléments de réponse sur l’exploitation des documents publics, sur celles des documents privés, sur les montages juridiques que leur utilisation impose et sur l’attitude que nous pouvons avoir face à leur diffusion via Internet.
La communication des archives intéresse également les juristes et sans doute plus encore les historiens, depuis la mise en avant d’une certaine actualité. Je rappelle la circulaire sur l’ouverture des archives de la période 1939-1945, les travaux des commissions Matéoli et Drey, et le projet de réforme de la loi de 1979 concernant notamment les délais de communicabilité. L’apport de la réflexion des juristes et des historiens est important.
J’évoquerai également les différentes initiatives de l’Association des archivistes français dans ce domaine : le colloque sur la transparence administrative ou les journées d’étude organisées en partenariat avec l’université de Paris xii permettent de faire avancer la réflexion et la recherche dans ce domaine. Historiens, archivistes et juristes peuvent confronter leurs points de vue. Certains me diront peut-être que les retombées sur la pratique sont peu visibles, mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Il n’est pas inutile de se voir rappeler ou définir, textes juridiques et jurisprudence à l’appui, ce que recouvre exactement, par exemple, la notion de vie privée ou de défense nationale. Nous sommes confrontés, nous, dans notre pratique d’archivistes de terrain, à ces problèmes de communicabilité. La loi sur les archives ne dit pas tout.
3. Le traitement des archives
Le traitement des archives, domaine privilégié des archivistes s’il en est, se nourrit autant de pratique que de recherche.
Le tri constitue l’une des activités essentielles des services d’archives : la nécessité de séparer les bons grains de l’ivraie, de façon à ne garder que ce qui sera utile à l’Histoire, a fait l’objet de recherches et de réflexions. Deux exemples de ces thèmes de recherche et de réflexion : l’échantillon en Ber et Tra, – parfois remis en cause –, a été défini en partenariat avec l’Institut d’histoire démographique il y a une vingtaine d’année, à l’époque où la sociologie de la population française n’était pas la même qu’aujourd’hui. Cependant, ce thème a été une grande avancée pour affronter le problème des masses de documents sériels de dossiers personnels.
Citons également l’échantillon géographique permanent défini en partenariat avec des statisticiens de l’INSEE[25], des historiens et des archivistes. Il permet de résoudre la conservation, par un échantillonnage, des masses produites lors des recensements de population même si, encore une fois, il est peut-être remis en cause aujourd’hui. Cependant, il ne faudrait pas non plus oublier que nous travaillons notamment pour l’Histoire, pour permettre aux historiens de travailler, et si nous changeons constamment nos normes d’échantillonnage l’historien n’aura plus le même terreau pour établir des comparaisons sur le long terme.
Le tri est le domaine privilégié des tableaux de conservation ou de gestion qui ont connu une véritable transformation dans leur présentation et leur contenu. Cette transformation est le fruit d’une véritable recherche sur la collecte des archives administratives contemporaines. Pendant longtemps, le seul document dans ce domaine a été, pour les services d’archives départementales, le règlement de 1921. Il se présente sous la forme d’une liste de documents répartis selon les séries du cadre de classement dans différentes rubriques numérotées. Il était ponctuellement mis à jour par le biais de circulaires de la Direction des archives de France au gré de décisions ministérielles. Autre exemple, la circulaire de 1961 autorisant l’élimination des fichiers de demandes d’allocations compensatrices des augmentations de loyer et modifiant en conséquence la rubrique « assistance » du règlement départemental.
Des circulaires autorisaient ponctuellement le tri de documents non répertoriés dans ce règlement mais sans les resituer dans leur contexte de production. À ce titre, l’apport de la recherche a été fondamental : elle a permis ce positionnement dans l’environnement. Face à ce constat, face à cette lacune, il était effectivement nécessaire d’envisager l’ensemble des archives d’un service en les replaçant systématiquement dans leur contexte. Les premiers tableaux de tri ainsi élaborés indiquaient et indiquent toujours, pour chaque catégorie de documents, le délai pendant lequel l’administration estime que leur conservation est nécessaire pour des raisons de délais légaux, de prescription ou de besoin d’instruction des dossiers, et enfin le sort à leur réserver à l’expiration de ce délai.
Il ne faudrait pas croire que ce sort, c’est à dire la conservation, le tri ou la destruction, ne relève pas d’une étude scientifique poussée sur l’intérêt historique des documents. Les groupes de travail que réunit la Direction des archives de France associent parfois des archivistes, des juristes et des historiens. Le premier tableau de ce genre, par service, est celui des Directions départementales de l’agriculture qui remonte à 1972 et qui vient en partie d’être retravaillé. Récemment sont apparus des tableaux qui envisagent les archives par grandes catégories de documents, inspirés des tableaux américains ou canadiens. Citons les tableaux sur les dossiers de personnels, les tableaux sur les dossiers de marchés publics et celui en préparation sur les archives comptables et financières de l’État et des collectivités territoriales.
Ainsi, l’archiviste dispose des résultats de groupes de travail, que l’on peut appeler groupes de recherche, et qui lui permettent d’envisager le traitement de grandes catégories de documents. Je pense que, dans ce domaine, la recherche doit être poussée : on ne peut plus envisager le sort final des documents sans, non seulement les avoir remis dans leur contexte de production au sein d’un service, mais aussi sans non plus avoir envisagé quelle était l’interaction de différentes administrations sur ces documents.
L’instruction de 1993[26] est également un bon exemple de ces tableaux de tri qui envisagent les archives d’une grande fonction administrative. Il s’agit, à mon sens, d’un genre un peu particulier de tableau puisqu’il repose sur la notion que les archives d’une commune forment un seul et même fonds selon le principe de respect des fonds. Or, je pense personnellement que cette notion n’est plus tenable ; elle nécessite une nouvelle réflexion sur le cadre de classement des archives communales.
Une dernière évolution dans le domaine des tableaux de tri et de gestion est celle qui consiste depuis peu à associer les historiens à la réflexion, comme dans le cas par exemple du RMI où un historien de l’Université de Rennes a participé aux travaux du groupe de travail de la Direction des archives de France. C’est un bon point. De même, la SNCF a également envisagé la problématique dans ces mêmes termes : elle a associé des historiens, des archivistes, des administratifs, des décideurs à la réflexion qu’elle engage sur les archives de la période de la guerre.
S’il est souhaitable d’associer les historiens à notre travail, je pense qu’il ne faut pas forcément suivre leurs avis. En effet, d’après les historiens, il faudrait tout garder ou du moins le maximum. C’est un leitmotiv qui revient périodiquement. Toutefois, nous ne pouvons pas demander à nos Conseils généraux, à nos mairies ou à nos décideurs de nous construire régulièrement des dépôts d’archives. De plus, est-ce que l’historien aura véritablement le temps de tout consulter ?
- Galland
Je souhaite m’étendre un peu sur les normes internationales de descriptions archivistiques et les perspectives de recherches actuelles ; sur la norme ISAD/G[27], sur les travaux du Conseil international des archives en la matière.
La recherche sur les descriptions archivistiques est partie d’une réflexion internationale : il s’agissait alors de rendre possible l’échange des données, le développement des réseaux, de réfléchir à un standard international de structuration des données. Pour cela, un groupe ou un comité ad hoc était nécessaire ; ainsi, un comité[28] s’est constitué au sein du Conseil international des archives. Et, c’est dans ce comité que l’on a vu, sans faire de chauvinisme excessif, la force de la tradition française et de la recherche française dans ce domaine de description. Cette contribution française a été très importante au moment de l’élaboration de la norme ISAD/G.
L’adoption de la norme est très intéressante : elle a suivi une méthodologie qui n’était pas fondamentalement différente de la méthodologie des bibliothécaires. Cependant, il est bien entendu que cette norme a un contenu spécifiquement archivistique, via la nomenclature des éléments de description. De plus, elle redéfinit le principe de la description à plusieurs niveaux. J’insiste souvent quand je présente la norme ISAD/G sur le fait que plus que la nomenclature des éléments de description en elle-même, c’est l’importance de la description à plusieurs niveaux qui doit être soulignée dans le contenu de la norme ISAD/G.
Cette norme est un bienfait dans la mesure où l’avancée incessante d’Internet a rendu nécessaire l’élaboration d’une application très pratique de règles d’écriture informatique pour les instruments de recherche et donc l’élaboration d’un système d’encodage des données. Il nous est venu des États-Unis une proposition, qui pourrait bien devenir une norme, un Digital Technical Description (ou DTD) Encoding Archival Description (ou EAD). Cette réflexion internationale sur la structuration des données permet de recentrer un petit peu cette norme dite EAD, fondée sur une pratique particulière, la pratique anglo-saxonne, puis développée de manière plus large.
La Direction des archives de France a lancé un certain nombre de programmes de recherche liés à directement la proposition de standard de la DTD EAD. D’une part, un premier test a été fait pour apprécier la compatibilité de la DTD EAD avec les instruments de recherche français (les résultats ont été concluants au prix de quelques aménagements). D’autre part, des essais pratiques sont actuellement en cours pour permettre d’enrichir la réflexion théorique des essais pratiques d’encodage d’instruments de recherche, instruments de recherche des Archives nationales dans un premier temps, mais il y a également un programme pour des instruments sur des archives courantes ou intermédiaires qui vont permettre d’affiner notre réflexion sur la DTD EAD.
Voilà un exemple de recherche en cours qui est parti du contexte international mais où on a vu que la tradition française permettait d’être présent et d’influer un peu, je crois, sur les conclusions.
- Charon
Et il en est à peu près de même avec les archives électroniques. J’entends dire que la France ne fait rien dans le domaine des archives électroniques ou qu’elle se repose sur le « point de Constance[29] ».
Le « point de Constance » a en effet permis une avancée de la recherche au niveau de la conservation des documents électroniques ; on sait maintenant, depuis ce programme, qu’un certain nombre d’actions doit être réalisé. Il faut notamment :
- conserver les données informatisées à plat sans les logiciels d’informatisation de lecture ;
- recopier ces données périodiquement d’un support à l’autre ;
- rassembler de la documentation sur les fichiers de base, c’est-à-dire les métadonnées[30] pour en comprendre notamment la structure.
Je pense que « Constance » a été de ce point de vue à la pointe de la recherche et il me semble encore qu’elle n’a pas à rougir de ses résultats. De même que pour l’EAD et ISAD/G, la Direction des archives de France envisage maintenant une mise en pratique locale de cette application adaptée aux réalités et aux moyens de nos services départementaux ou de nos services communaux. J’attends avec impatience, en tant qu’archiviste de la pratique, les résultats de ces programmes de recherche qui seront développés.
Prenons par exemple, les archives de Paris. Si j’ai compris ce qui a été dit lors des dernières journées d’étude organisées par la Direction des archives de France[31], il faut lancer des programmes de recherches concrets avec une généralisation sur l’ensemble de la France. J’attends que ce dernier évalue les coûts de l’archivage et de la conservation d’archives comme celles de Paris.
Nous ne devons pas nous culpabiliser en matière de documents électroniques et d’archivage même si des archives disparaissent. Je vous conseille la lecture du livre d’Isaac Asimov[32] sur Prélude à Fondation. Sa réflexion se transpose dans les même termes aujourd’hui. Il dit notamment que les archives n’ont pas une durée de vie illimitée ; il ne faut pas chercher l’impossible : les banques de mémoire peuvent être effacées à la suite d’un conflit ou simplement se détériorer dans le temps. Tout bit de mémoire, tout élément d’archives qui n’est pas « rafraîchi » de temps en temps finit par se noyer dans un bruit de fond croissant. On dit qu’un bon tiers des enregistrements de la bibliothèque impériale est devenu inaudible. Il pose la problématique fondamentale : comment assurer la conservation permanente des documents électroniques alors que les supports s’abîment ? Il faut les faire migrer, c’est à dire faire du tri.
Actuellement, la problématique des archivistes électroniques est mal posée, c’est une problématique tout à fait normale qui nécessite des moyens sans doute différents que la conservation des documents papier.
Étudiants du DESS
Nous souhaitons vous demander pourquoi vous considérez les instruments de recherche comme faisant partie de la recherche en archivistique contrairement à Carol Couture ?
- Charon
Les instruments de recherche supposent à la base que l’on fasse du classement. En quoi consiste un classement ? Rassembler une information, rechercher de la documentation sur l’histoire de l’institution sur laquelle on va travailler. Cela aboutit à des instruments de recherche mais cela aboutit aussi, avant le corps même des instruments de recherche, à des introductions qui sont parfois de véritables traités d’histoire administrative et institutionnelle. Ceci est véritablement de la recherche au sens propre du terme. Ces introductions servent ensuite à nous guider quand nous sommes confrontés ou que nous envisageons de traiter telle ou telle série ou tel ou tel fonds.
La réalisation d’un instrument de recherche est à ce titre une recherche, résultat de la pratique. Mais c’est également une véritable recherche archivistique et historique. Elle sert ensuite à élaborer notre propre travail de traitement et de classement. L’instrument de recherche est donc un véritable travail de recherche. - Galland
J’ajouterai qu’au-delà de cette recherche historique et administrative qui figure dans l’introduction, la conception même de l’instrument de recherche, du plan de classement, de l’ergonomie de l’instrument, de la structuration des dossiers, des sous-dossiers, des niveaux de description, des grandes unités fonctionnelles et de leurs liens – soit avec la façon de travailler de l’institution dont on classe les archives, soit avec son organisation – implique une réflexion, qui doit reposer sur une recherche théorique.
Reprenons la norme ISAD/G. Beaucoup d’archivistes faisaient de l’ISAD/G sans le savoir, comme ils font de la recherche sans le savoir. Parallèlement, ceux qui n’avaient pas réfléchi sur les règles des niveaux de description, la hiérarchie des informations, la structuration des informations, réalisaient des instruments de recherche qui étaient confus pour l’utilisateur, qui ne mettaient pas en valeur les bonnes informations et qui ne permettaient pas les replacer convenablement dans leur contexte. Les archivistes ont besoin de connaître les avancées de la recherche archivistique en la matière, encore une fois pour la structuration des informations, pour leur hiérarchie, pour leur articulation entre elles. Et, comme l’a rappelé Philippe Charon, l’instrument de recherche repose sur une recherche institutionnelle et administrative. N’oublions pas ces deux aspects : recherche historique et administrative, puis réflexion sur le contenu même des données, sur les valeurs et sur leur hiérarchie. - Charon
Prenons un autre exemple : dans le service des Archives départementales de la Sarthe, comme dans d’autres services d’archives, il existe ces fameux inventaires sommaires du xixe siècle qui ont une présentation anarchique et non hiérarchique, mais qui, c’est vrai, ont un contenu intellectuel. Je suis en train de travailler sur la présentation des instruments de recherche en m’inspirant de la norme ISAD/G pour tenter de reconstituer différents niveaux de description qui n’existaient pas dans ces inventaires sommaires. C’est un véritable travail pratique qui repose sur la recherche, et le résultat sera un véritable travail de recherche.
Mme Chabin, Archive 17
Sans anticiper sur mon intervention de cet après-midi, je souhaite proposer une mini-conclusion consensuelle pour réconcilier Philippe Charon, Bruno Galland et Carol Couture, sur la question de savoir si les instruments de recherche relèvent de la recherche en archivistique ou non. Dans vos deux réponses, vous avez bien mis en avant qu’un instrument de recherche fait appel à deux principes, à deux démarches. Je distingue également le traitement administratif et institutionnel, ainsi que la structuration et la hiérarchie de l’information.
Carol Couture n’est pas là pour répondre, et je ne veux pas le faire à sa place, mais je donne, moi, mon point de vue sur la question. Je pense que le traité d’histoire administrative institutionnelle n’est pas de la recherche en archivistique ou pourrait ne pas en être ; en revanche, la structuration et la hiérarchie de l’information m’apparaissent comme le cœur même de cette recherche en archivistique.
- Charon
On ne peut pas faire de la recherche institutionnelle sans regarder ce qu’il y a dans les dossiers, dans les archives ; on y découvre des traités, des manuels, des codes. Mais quand on regarde les introductions des instruments de recherche, il y a non seulement un traité d’histoire administrative, mais également une réflexion sur le contenu même, intellectuel ou informatif, des dossiers. - Galland
J’ajoute simplement que, dans la typologie des champs de recherche en archivistique que nous propose Carol Couture, je vois au moins huit milieux d’archives, institutions gouvernementales, institutions d’enseignements, institutions religieuses. J’ai entendu tout à l’heure dans la communication qui a été donnée que parmi les différents champs de la recherche archivistique sont décrits la nature des documents, l’éthique, la fonction archivistique, etc., et l’histoire institutionnelle. Pour moi, l’histoire institutionnelle fait fondamentalement partie de la recherche archivistique parce qu’elle permet – et c’est pour cela que nous sommes d’accord avec Carol Couture – d’apprécier les documents. Elle est même à la base de notre travail de collecte et de tri.
Mme Banat-Berger, Service des archives du Ministère de la Justice
À mon avis, les archivistes doivent approfondir les recherches actuelles sur ces tableaux de gestion pour que l’on puisse y intégrer dans les années qui viennent les documents électroniques. Ces tableaux de gestion devront être, contrairement à ce qu’ils sont aujourd’hui, véritablement structurés. À ce titre, il est nécessaire de travailler davantage sur la typologie des documents. Les tableaux de gestion actuels sont trop généraux : il faut une réflexion beaucoup plus poussée sur les commentaires et la documentation de ces tableaux de gestion. Les délais d’utilité administrative sont difficilement compréhensibles, les quelques réflexions sur le sujet n’ayant pas été systématiques ; elles dépendent de plus de ceux qui les ont conduits.
Concernant le tri des documents, les archivistes se trouvent aussi en pleine crise. Ils n’ont pas le temps concrètement, dans leurs dépôts réservés aux archives contemporaines, de faire du tri sélectif d’où un tri automatique fondé sur des critères qui sont toujours les mêmes et qui ne sont pas très satisfaisants scientifiquement parlant. L’apport des historiens et autres spécialistes n’est pas encore généralisé et n’a pas encore fait l’objet d’une réflexion.
Mme Arnaud, Centre historique des archives nationales
J’apprécie beaucoup ce qu’ont dit nos deux interlocuteurs, parce que je suis absolument persuadée, comme eux, que la recherche en archivistique existe en France même si ce n’est pas proclamé haut et fort. Cependant, je veux aussi aller dans le sens de Françoise Banat-Berger.
Je pense que des pans entiers du domaine archivistique doivent être approfondis. Je pense en particulier au domaine de la conservation. Michel Duchein a été un précurseur dans ce domaine, mais l’étude remonte aux années 1970. Nous réfléchissons actuellement sur un futur centre pour les archives nationales et nous nous apercevons que nous sommes justement en manque d’une réflexion sur les conditions de conservation. Nous nous interrogeons sur la validité des normes qui ont été élaborées dans les années 1970 au regard du contexte actuel. La même remarque est valable pour le conditionnement et la restauration des documents d’archives.
Au Centre historique des archives nationales, nous lançons des appels d’offre afin de déléguer à la fois l’achat des conditionnements tout comme les programmes de reliure et de restauration des documents. Or, les données dont nous disposons pour élaborer nos cahiers des charges sont beaucoup trop réduites et inadaptées. Elles ne permettent pas d’apporter aux entreprises privées chargées d’effectuer ces travaux les éléments nécessaires nous permettant d’être que ceux-ci seront correctement réalisés. Le domaine de la conservation doit faire lui aussi l’objet de recherches approfondies.
M. Charon
C’est là l’avis d’un responsable d’un grand centre. Je pense qu’on a véritablement fait de très grands efforts dans le domaine de la conservation préventive et du conditionnement. Nous savons très bien, ne serait-ce que par des articles publiés dans la presse récemment, que la situation du Centre historique des archives nationales n’est peut-être pas ce qu’elle doit être dans l’idéal. Cependant, des efforts sont faits.
Je voudrais revenir sur les tableaux de gestion et sur ce que disait Françoise Banat-Berget. Il y deux façons d’envisager la collecte des archives administratives contemporaines – et bien sûr des archives électroniques – mais j’irai encore plus loin : faut-il encore des tableaux de gestion ? Est-ce qu’il ne faut pas plutôt s’intéresser, comme le disait Gérard Naud dans les années 1980, aux documents d’informations pertinentes, essayer de les avoir dans nos services d’archives et laisser les administrations gérer les autres documents ? À vouloir tout englober, à vouloir tout embrasser, nous ne pouvons que déboucher sur des lacunes.
M. Petit, Université d’Angers, historien
J’ose me mêler de ce débat entre archivistes pour reprendre une phrase de Philippe Charon qui était autant amicale que provocatrice : « les historiens voudraient toujours tout conserver ». Il est vrai que nous souhaiterions tout garder, mais je pense que tout historien sérieux, qui travaille dans des archives, est conscient qu’il est impossible de tout garder. Notre problème principal, à mon avis, est celui du tri et, sur ce point, je ne suis pas certain que les historiens aient le sentiment d’être toujours associés aux objectifs et aux méthodes du tri.
Des historiens sont associés dans certaines commissions notamment celles concernant les archives de la justice. Mais les historiens sont-ils nombreux et représentatifs ? Ne sont-ils pas seulement considérés comme quelques experts ? Sont-ils vraiment considérés au même titre que les juristes et les archivistes ? Je n’en suis pas certain, d’autant plus que, sans vouloir jeter une pierre dans le jardin de mes amis archivistes qui sont très estimables, beaucoup d’archivistes se considèrent aussi comme historiens, et font parfois des types d’histoires qui ne sont pas les nôtres. Beaucoup d’archivistes sont historiens mais moi, en tant qu’historien travaillant sur les archives, je ne me considère pas comme archiviste.
Plusieurs d’entre nous appartenant à de nouveaux courants d’histoire sociale qui se sont développés il y a une vingtaine d’années, ne sont pas véritablement représentés dans toutes les expertises, ni présents dans la réflexion de la conservation, des tris et de la communication. Je ne parle pas du problème de la communicabilité qui est tout aussi essentiel.
- Portevin, entreprise Saint-Gobain, directeur du GIE Saint-Gobain archives
Je souhaite résumer le sentiment de l’assistance pour dire que les exposés de Bruno Galland et Philippe Charon nous ont apporté un sentiment de fierté. Je veux dire qu’il était bon, nécessaire, de rappeler ce qui existe, ce qui se fait, parce que nous sommes un certain nombre depuis quelques années à avoir, notamment dans les réunions internationales, quelques complexes où l’on nous dit : « l’archivistique française est dépassée, il ne se passe plus rien en France, vous êtes à la remorque de ce qui se passe ailleurs ». Or vous avez décrit une recherche que je qualifierais de pratique et d’appliquée, très riche, et qui manque sans doute de moyens : nous avons parlé des déficiences de moyens au Service technique ou dans d’autres instances. Ces moyens sont nécessaires pour faire avancer davantage les éléments pratiques du métier d’archiviste et imposer son application dans les différents lieux où il s’exerce.
Je pense que tout ce que vous avez décrit montre qu’il y a peut-être une déficience fondamentale, je veux dire en matière de recherche scientifique fondamentale. À l’étranger, il existe dans les universités (Colombia, Montréal, Londres) des centres de recherche scientifiques qui réfléchissent et qui produisent des éléments sur la nature même des archives et leur finalité. Il semble qu’en France, – et je crois d’ailleurs que c’est bien l’objet même de cette journée –, nous n’ayons pas cette structure universitaire et que, de ce fait, la recherche appliquée que vous avez décrite avec talent se trouve peut-être, qu’on le veuille ou non, à la remorque de la réflexion menée à l’étranger. Peut-être ce bilan pourrait conclure la journée. - Galland
Encore une fois, l’expérience que j’ai eu dans les deux domaines de recherche où j’ai davantage travaillé, c’est à dire la description archivistique et la conservation préventive me prouvent bien que, dans les deux cas, la France n’est pas à la remorque de la réflexion étrangère. Elle s’appuie même sur la recherche qui est engagée. Non seulement la recherche ancienne qui bénéficie d’un siècle de tradition et de réflexion, mais aussi les recherches les plus récentes.
Les études en cours, – j’ai cité la conservation préventive des bulles de plomb par exemple –, sont la base de travail, de réflexion du comité de sigillographie, afin de relancer et diffuser des résultats de recherche au niveau international. Des recherches ayant un rayonnement international débutent parfois en France. C’est le cas d’une recherche sur la pérennité des encres ou des papiers utilisés dans les documents administratifs contemporains qui s’est achevée en l’an 2000.
Je ne crois pas que l’archivistique française soit à la remorque de la réflexion étrangère. Une de nos forces est que les recherches menées en France sont non seulement bien diffusées mais aussi réalistes puisque applicables. Or, je ne suis pas sûr que dans les pays bénéficiant de centres de recherche indépendants, d’institutions pratiques et fonctionnelles, la recherche est aussi proche de la pratique. Posons-nous la question suivante : dans ces pays, quel est le lien exact entre, d’une part la recherche théorique, et d’autre part son utilisation dans la pratique ? Je ne suis pas sûr non plus que le lien recherche/pratique soit aussi étroit que chez nous. Certes nous avons des faiblesses notamment sur l’association des historiens à la réflexion.
M. Charon
C’est exactement le cas en Australie. Les recherches menées par Ann Pederson me semblent totalement inapplicables. - Gasnaut, Archives de Paris
Je voudrais revenir au complexe évoqué par Jacques Portevin. Ce complexe repose aussi sur un contraste. Il est très intéressant de souligner que dans les exposés de nos intervenants, les noms qui sont cités sont quasi exclusivement des noms d’archivistes ou d’universitaires anglo-américains. Je constate effectivement que l’archivistique théorique est très forte dans ces pays là. Or, remarquons qu’en caricaturant un peu, ce sont des pays qui ont peu d’histoire et relativement peu d’archives, alors que les pays latins, la France et l’Italie notamment possèdent des trésors en matière de documents d’archives. Bruno Galland qui a eu la même expérience que moi ne me démentira pas : la richesse des services d’archives italiens est extravagante. Ils conservent, par exemple dans le cas de Bologne, quinze kilomètres d’archives notariales depuis le xiième siècle. Je veux dire par cet exemple que nous devons d’abord nous préoccuper de l’existant avant de vouloir théoriser la pratique.
Il y a un poids de l’Histoire et des traditions organisationnelles qui sont très différentes entre nos pays latins et les pays de tradition anglo-américaine. Ceci dit, cela ne devrait pas faire obstacle à un besoin objectif, à une demande réelle de théorisation. La raison est qu’en France, nous avons peu de théories archivistiques. Nous disposons d’une norme qui est d’abord une norme gouvernementale et qui, comme telle, fait l’objet de résistances. J’ai travaillé un peu comme Bruno Galland et Philippe Charon, à la Direction des archives de France avec l’objectif de produire des normes. Or, quelle que soit la norme proposée, des résistances se font. On doit ainsi faire face aux critiques, aux refus presque affichés d’appliquer les normes définies à l’échelon ministériel, aux écarts que les problèmes du terrain provoquent. Les archivistes sont obligés d’aménager les normes selon leur quotidien. Je pense que tant que les normes seront liées à ce contexte gouvernemental, nous risquons de déboucher uniquement sur des blocages ou des impasses.
Une théorisation qui ne prendra pas naissance dans un ministère, mais dans une interaction entre des centres de recherche et des services d’archives aura peut-être davantage de chance de s’imposer. Ceci dit, faudrait-il encore, au préalable, dégager une méthodologie efficace. Cette méthodologie manque aujourd’hui, peut-être notamment parce que nous ne donnons pas la priorité à l’économique. Tant que nous n’aurons pas mené une réflexion approfondie sur l’économie de la gestion et de la conservation du patrimoine documentaire, toute théorie risque de ne pas pouvoir se révéler applicable.
De plus, nous devons mieux cerner notre public. Nous avons une image un peu mythique du chercheur ou du lecteur. Ce n’est que depuis un an qu’une grande enquête sur l’usager des archives a été lancée. Cette enquête doit aussi inclure ce client privilégié qu’est le producteur. C’est en fonction de l’attente du producteur par exemple qu’il faudrait, me semble-t-il, réfléchir à ce que devrait être le futur tableau de gestion. J’ai en effet souvent constaté que nos collègues administratifs n’y comprenaient rien, ne savaient pas du tout comment se positionner par rapport à cet outil. Il n’y a aucun intérêt à créer des outils qui ne leur servent à rien.
[1] Direction des archives de France, Instruction pour la mise en ordre des archives départementales et communales, 24 avril 1841.
[2] Direction des archives de France, Instruction sur le classement et la cotation des archives dans les services d’archives départementales, circulaire AD 98-8 du 18 décembre 1988.
[3] Direction des archives de France, La Pratique archivistique française, Paris, Archives nationales, 1993, 630 p.
[4] Par exemple le manuel de M. SCHELLENBERG, Modern archives : principles and techniques, Chicago, 1956.
[5] Voir DUCHEIN Michel, La Gazette des archives, « Le respect des fonds en archivistique, principes théoriques et problèmes pratiques », 1977, 2ème trimestre, n° 97, p. 71 et suivantes.
–, La Gazette des archives, « La pollution atmosphérique par l’anhydride sulfureux » et « Quelques produits fongicides utilisables par les archivistes », 1964 n° 47, « Tribune libre sur le conditionnement », 1966, n° 53.
[6] NAUD Gérard et Christine, La Gazette des archives, « Préarchiver ? D’abord analyser », 1971, 4ème trimestre, n° 75, pp. 185-189.
[7] GUYOT-JEANNIN Olivier, La Gazette des archives, « Tri et échantillonnage, empirisme et théorie », 1984, 1er trimestre, n° 124, pp. 5-26.
[8] Direction des archives de France, Instruction sur le traitement des archives départementales postérieures au 10 juillet 1940, circulaire AD 79-6 du 31 décembre 1979.
[9] www.archivesdefrance.culture.gouv.fr, Normes et règlements.
[10] Direction des archives de France, La Pratique archivistique française, Paris, archives nationales, 1993, 630 p.
[11] Direction des archives de France, Manuel d’archivistique, Théorie et Pratique des archives publiques en France, Paris, SEVPEN, 1970, 805 p. (réimp. 1991, Archives nationales).
[12] DUCHEIN Michel, Les Bâtiments et équipements d’archives, Paris, UNESCO, 1966, 312 p.
–, Les Bâtiments d’archives : constructions et équipements, Paris, Archives nationales, 1985, 256 p.
[13] BASTIEN Hervé, Droit des archives, Paris, La Documentation française, 1996, 192 p.
[14] GALLAND Bruno, NOUGARET Christine, Les Instruments de recherche dans les archives, Paris, La Documentation française, 1999, 259 p.
[15] Un cabinet de recherche est chargé de rédiger un cahier des charges pour un programme informatique d’analyse et d’exploitation des différents tableaux de gestion afin de faciliter la réflexion et l’élaboration des normes en matière de collecte et de tri.
[16] Conseil international des archives, ISAD/G, Norme générale et internationale de description archivistique, Canada, Ottawa, 2000, 2ème édition. Cette norme a été adoptée par le Comité sur les normes de description à Stockholm, Suède, les 19-22 septembre 1999. ISAD/G : General International Standard Archival Description).
[17] Les DTD ou Document Type Definition sont de nouveaux outils informatiques.
[18] La norme australienne a inspiré la rédaction du texte provisoire de la norme ISO/DIS 15489 proposé le 29 mai 2000 sur le Records Management.
[19] DUCHEIN Michel, Les Bâtiments et équipements d’archives, Paris, UNESCO, 1966, 312 p.
[20] DUCHEIN Michel, FLIEDER Françoise, Livres et Documents d’archives : sauvegarde et conservation, Paris, Unesco, 1986, 84 p.
[21] Cet organisme dépend du CNRS et était dirigé jusqu’à une date récente par Françoise FLIEDER.
[22] Son bulletin est axé sur l’actualité dans le domaine ; il s’attache à mettre à la portée de tous des concepts scientifiques.
[23] Ce cahier des charges est diffusé par le Service technique de la Direction des archives de France.
[24] AFNOR : Association française pour la normalisation.
[25] Institut national de la Statistique et des Études économiques.
[26] Direction des archives de France, Instruction pour le tri et la conservation aux archives communales des documents postérieurs à 1982 produits par les services et établissements publics des communes, Paris, 1993, 177 p., Circulaire AD 93-1 du 11 août 1993.
[27] Rappel : ISAD/G, General International Standard Archival Description. La norme ISAD/G sur la description des documents d’archives a été publiée en 1994.
[28] Le Comité sur la norme de description archivistique a été présidé pendant quatre ans par Christine NOUGARET.
[29] La Direction des archives de France a lancé, dès 1978, une réflexion portant sur les problèmes posés par les archives électroniques, sous la direction du Centre des archives contemporaines de Fontainebleau, service des Archives nationales. Il fut baptisé « Point de Constance » ou « projet Constance » : CONservation et Stockage des Archives Nouvelles Constituées par l’Électronique. Le projet Constance est défini comme « l’ensemble des méthodes, procédures et réalisations développées dans le domaine de l’archivage des fichiers informatiques » (article de Michèle CONCHON, « L’Archivage des fichiers informatiques », septembre 1999, site Internet de la Direction des archives de France.
[30] Informations renseignant sur la structure d’un groupe de données. Elles permettent aussi de définir les caractéristiques d’évolution dans le temps d’un document.
[31] Direction des archives de France, Journées internationales, « Archivage à long terme des documents électroniques », Paris, les 8-9 mars 2001 (source : site Internet de la Direction des archives de France).
[32] ASIMOV Isaac, Prélude à Fondation, Paris, Presses de la Cité, 1993, 343 p.