À l’écoute des publics des archives : leurs identités, leurs attentes, nos réponses
Journée d’études organisée par les étudiants du master 2 professionnel « archives et réseaux documentaires » de l’université d’Angers et l’AEDAA – 9 mars 2007
Compte rendu des interventions
(élaboré à partir des résumés des intervenants et des notes des étudiants)
Introduction : l’évolution des publics des archives depuis les années soixante, par Élisabeth Verry, directrice des archives départementales de Maine-et-Loire
En introduction à la journée d’études, Mme Verry propose un retour historique sur l’évolution de la fréquentation des services d’archives publics en France au cours des cinquante dernières années. Elle estime que la période est caractérisée par une pulsation ternaire : une forte croissance des publics à l’extrême fin des années 1960 et au tout début des années 1970 laisse la place à une phase de stagnation qui dure jusqu’au début des années 1980, marquées par une nouvelle accentuation de la progression du nombre de lecteurs. Ainsi, le nombre de lecteurs différents enregistré par les archives départementales de Maine-et-Loire était de 380 en 1968 ; il passe à 746 en 1975 et dépasse le millier en 1984. Cette augmentation se poursuit à un rythme soutenu jusqu’aux environs de 1995, date à laquelle un
ralentissement, voire une stabilisation, interviennent.
Mme Verry insiste sur la césure des années post-soixante-huitardes. C’est effectivement dans ces années, à la faveur de la réforme des études universitaires et d’évolutions sociétales fortes, que s’ancrent les deux moteurs qui alimentent la croissance des publics des archives jusqu’aux années 2000 : l’explosion des travaux de recherche historique de type universitaire et, parallèlement, l’irruption d’un public amateur, généalogiste notamment.
Thème 1 : le public des archives aujourd’hui
Publics et archives : comprenons-nous ! Résultats de l’enquête menée auprès des usagers des archives départementales de Maine-et-Loire, par les étudiants du master 2 professionnel « archives et réseaux documentaires » de l’université d’Angers (représentés par Agnès Janssens, Marie Siniscalco, Sarah Thévard)
Les résultats sur les publics des archives départementales de Maine-et-Loire ici présentés sont issus de deux enquêtes, l’une qualitative, l’autre quantitative, menées à la fin de l’année 2006 et au début de l’année 2007. L’enquête quantitative repose sur un questionnaire de 63 questions adressé à un échantillon aléatoire de 500 lecteurs. 290 questionnaires correctement remplis ont pu être utilisés. Une enquête qualitative par entretiens a été menée complémentairement auprès de douze usagers des archives départementales de Maine-et-Loire (trois généalogistes, trois historiens ou érudits locaux, deux chercheurs universitaires, un notaire, trois enseignants usagers du service éducatif).
Le lecteur type des archives départementales de Maine-et-Loire est un homme de 54 ans, habitant Angers, peu mobile. Il a peu déménagé dans sa vie. C’est un retraité ayant accédé à l’enseignement supérieur au niveau bac plus 4 et ayant exercé une profession intellectuellement supérieure : cadre, enseignant, ou chercheur. Ce lecteur se caractérise par des pratiques culturelles (visites culturelles telles que les musées, des chantiers de fouilles, les expositions…) ou de loisirs (cinéma, théâtre, concerts divers…) élevées et variées. Il est familiarisé avec l’usage de l’ordinateur et d’Internet.
Comme on peut s’y attendre, le lectorat des archives départementales de Maine-et-Loire est structuré autour de deux groupes : les généalogistes et les historiens. Mais l’enquête fait apparaître de fortes parentés ou passerelles entre les deux ensembles. Si 48% des lecteurs font exclusivement de la généalogie en amateur et si les chercheurs et historiens exclusifs représentent 28% des lecteurs, on note que les lecteurs qui revendiquent à la fois l’histoire et de la généalogie représentent 24% du total (72% des lecteurs font de la généalogie tandis que 52% des lecteurs font de l’histoire). De même, bien que les généalogistes appartiennent à des catégories socioprofessionnelles légèrement plus modestes que l’ensemble des lecteurs, leurs pratiques culturelles sont aussi assidues et leur niveau d’études se rapproche de celui des autres lecteurs (45% ont fait des études supérieures contre 53%).
Interrogés sur la finalité et la motivation de leur fréquentation des archives, plus des deux tiers des personnes sondées considèrent qu’il s’agit d’une pratique de loisirs ou d’épanouissement personnel. Ils ne sont que 13% à mettre en avant l’existence d’une obligation, quelle qu’en soit la nature. Contrairement aux idées reçues, le lectorat des archives départementales de Maine-et-Loire n’est composé que d’un quart d’habitués : la moitié des lecteurs sont venus la première fois aux archives il y a deux ans ou moins.
Enfin, l’enquête met en lumière un taux de satisfaction globale très remarquable : 71 % des lecteurs expriment une satisfaction sans réserve. Les mécontentements les plus forts concernent le fonctionnement des appareils de reproduction de microfilms, ainsi que leur coût. Par ailleurs, 35 % seulement se déclarent totalement satisfaits par les instruments de recherche, leur existence ou leur mode de présentation. La connaissance des publics : bilans statistiques, analyses et prospectives par Pierre Fournié, responsable du département des publics à la direction des Archives de France.
Traditionnellement, les publics des archives sont répartis en trois catégories : les chercheurs et les universitaires ; les amateurs (le plus souvent généalogistes) ; les agents des administrations (services versants). Il faut y ajouter le public scolaire et le public fréquentant les différentes animations culturelles. L’importance de ces publics se traduit en premier lieu dans les bâtiments d’archives, dont la vision est fondamentalement renouvelée : les fonctions de conservation et les fonctions d’accueil sont distinguées ; ils sont plus ouverts sur l’espace public, insérés dans un environnement architectural et urbain qu’ils contribuent à structurer.
En 2004, dans les seules archives départementales, il existait près de 3 600 places réservées à la consultation des originaux, 1 200 places pour la lecture des microfilms et 452 places dévolues à la consultation des documents numérisés. D’autres espaces existent pour le public, tels que les salles d’exposition, les auditoriums, les espaces dédiés à l’action éducative et les archivobus.
Quelques chiffres permettent de mieux appréhender les lecteurs du réseau des Archives de France, c’est-à-dire des services à compétence nationale, des archives départementales et des archives communales, pour l’année 2005. Les documents d’archives ont été consultés par près de 300 000 lecteurs différents, répartis de la manière suivante : 12 000 pour les Archives nationales, 182 000 pour les archives départementales et 103 000 pour les archives communales. Au cours de 900 000 séances de travail, 4 600 000 communications de documents ont été assurées dans les divers services accueillant du public : 138 000 communications aux Archives nationales, 3 300 000 pour les archives départementales, et 1 200 000 pour les archives communales. Les enquêtes effectuées auprès des archives départementales et des archives communales ont confirmées que près des deux tiers des lecteurs étaient des généalogistes. Les résultats de l’enquête menée en 2003 auprès des lecteurs fréquentant les archives nationales sont tout aussi éloquents : un quart des lecteurs s’y adonnent exclusivement à la généalogie. Pour les seules Archives nationales d’outre-mer, ce taux approche les 50%. En 2005, les chiffres clé à retenir concernant les publics scolaires sont les suivants : environ 10 000 élèves pour les Archives nationales (Paris), environ 110 000 pour les archives départementales (en hausse par rapport aux années précédentes) et environ 20 000 pour les archives communales. De 1982 à 2003, le nombre des expositions présentées dans les services d’archives publics évolue de la manière suivante : 116 en 1982, 246 en 1988, 450 en 1998, 456 en 2003. La part prise par les expositions organisées par les services éducatifs d’archives diminue au profit d’expositions « tous publics ». Les thématiques sont désormais diversifiées, les scénographies ambitieuses et les supports de plus en plus variés. Il existe des difficultés à établir des statistiques fiables sur la fréquentation des expositions. Pour 2003, cette fréquentation a été ainsi évaluée : 33 000 visiteurs pour les Archives nationales, 170 000 pour les archives départementales, 120 000 pour les archives communales. En 1999, si 7 expositions des archives départementales avaient attiré plus de 10 000 visiteurs, le public de la majorité d’entre elles ne dépassent pas les 1 000 visiteurs. Il existe plusieurs outils pour connaître le public des archives : les rapports annuels sur l’activité des services publics d’archives, les analyses quantitatives, les enquêtes du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère. Le projet d’observatoire des publics doit permettre de mettre en place des dispositifs et des indicateurs pour la connaissance des publics par la réalisation d’études qualitatives et grâce à des outils d’auto-évaluation. Pour les archives départementales et communales, une enquête de 2001 dessine un public plus âgé (en moyenne 50 ans) et plus instruit que la population nationale. Les mobiles de fréquentation des lecteurs sont la recherche de documents pour faire valoir des droits, les recherches nécessitées par des études universitaires ou par l’activité professionnelle, puis les recherches dans le cadre des loisirs ou des centres d’intérêt des lecteurs. Les usagers sont occasionnels, pour faire valoir un droit par exemple, ou réguliers dans le cas des historiens et des généalogistes. L’enquête menée en 2004 sur les publics des Archives nationales fait apparaître que plus de la moitié des lecteurs est âgée de 50 ans minimum. Près de la moitié est impliquée dans l’histoire locale et dans le patrimoine. Un quart des lecteurs a une bonne expérience des archives. Les mobiles de consultation restent les mêmes que pour le public des archives territoriales. Une enquête menée en 2003-2004 sur les services éducatifs a permis de faire un état des lieux de l’offre culturelle et éducative ainsi que des moyens employés à cet effet. Elle constitue une étape dans la mise en place d’un observatoire de la politique éducative et culturelle des archives. Il faut signaler les efforts considérables pour communiquer et diffuser les ressources via les sites Internet.
En plus des centres des Archives nationales, près de 80 services d’archives départementales en sont pourvus aujourd’hui. Ils étaient 40 en 2000, 41 en 2001, 47 en 2002, 58 en 2003, 68 en 2004, 74 en 2005. Une enquête est en cours sur la généalogie et sur l’Internet. L’Internet a en effet transformé les usages que les publics font des archives. Par exemple, les archives départementales de la Mayenne possèdent une salle de lecture avec 25 postes informatiques. Le site Internet reçoit autour de 30 000 connexions mensuelles, au cours desquelles plus d’un million d’images sont téléchargées. Le site correspond à une salle de lecture virtuelle ouverte jour et nuit, qui reçoit à certaines heures plus d’une centaine de visiteurs simultanément.
Au total, l’enjeu pour les archives est de répondre à une demande sociale de plus en plus forte. L’histoire s’est transformée en une science de l’homme qui donne, depuis une trentaine d’années, toute sa dimension à la dialectique entre histoire et mémoire. La fonction sociale de l’histoire se diversifie en France, avec l’émergence des « minorités » et des « communautés » et la multiplication des discours historiques, au risque de certaines superpositions, voire de conflits. C’est là que l’archiviste, dépositaire et conservateur de la mémoire collective, doit jouer le rôle de recours.
Thème 2 : besoin d’archives
Vingt-cinq ans d’enseignement de découverte des archives de l’époque moderne par les étudiants de licence d’histoire de l’université de Poitiers, par Jacques Péret, professeur à l’université de Poitiers.
Depuis 25 ans, les enseignants d’histoire moderne de l’université de Poitiers proposent aux étudiants de licence d’histoire, dans le cadre d’une première spécialisation, une initiation aux sources de l’époque moderne. L’objectif est d’une part de faire découvrir les grands types de sources à partir des fonds originaux des archives départementales, principalement, d’autre part de faire dépouiller à chaque étudiant un exemplaire de chaque source avant d’en faire une analyse. Nous essaierons de montrer les méthodes scientifiques et pédagogiques suivies et les retombées de cet enseignement quant à la formation, la recherche et la pratique des dépôts d’archives.
L’évolution du cursus universitaire d’histoire et la fréquentation étudiante des centres d’archives, par Yves Denéchère, professeur à l’université d’Angers.
Il s’agit de poser la question des effets de la récente réforme de l’enseignement supérieur dite réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) sur les recherches des étudiants en histoire et donc sur leur fréquentation des centres d’archives. Dans beaucoup d’universités, cette réforme s’est accompagnée d’une refonte plus ou moins importante du cursus recherche au niveau bac + 4 et bac + 5. Le passage du système maîtrise/DEA au master recherche a en effet provoqué un changement dans la nature des travaux demandés aux étudiants en histoire.
Les statistiques des inscriptions dans ces formations et des salles de lecture de différents centres d’archives (Archives départementales de Maine-et-Loire et Centre des archives diplomatiques de Nantes notamment) montrent les effets de ces changement sur le nombre des étudiants en histoire fréquentant les archives. Mais il est possible d’aller plus loin et d’évoquer de nouvelles manières pour les étudiants en histoire de travailler dans les centres d’archives et les nouvelles attentes qui sont les leurs.
Le passé dans le présent : quelques usages de l’histoire locale, par Benoît de l’Estoile, professeur d’anthropologie sociale à l’École normale supérieure.
La communication se fonde sur une enquête réalisée entre 1995 et 1998 dans une ville d’environ 50 000 habitants, située dans le Bassin parisien, en réponse à un appel d’offres de la mission du patrimoine ethnologique du ministère de la Culture. Il s’agit de poser quelques réflexions sur les usages de l’histoire locale, mais en considérant ce thème d’un point de vue anthropologique. L’analyse du monde des sociétés savantes a déjà fait l’objet de travaux historiques de valeur, à commencer par ceux de Jean-Pierre Chaline, mais qui demeurent marqués par une posture qui tient du rapport du professionnel à l’amateur. Il convient donc d’envisager le récit historique comme ayant un sens pour le présent, dans ce qu’il dit sur la position sociale d’une personne ou d’un groupe : « Parler du passé, c’est parler du présent, et en fonction des enjeux présents. Les hommes sont plus influencés par les erreurs qu’ils ressentent que par la vérité qu’ils ignorent », Bronislav Malinowski, 1938.
Une première difficulté réside dans la terminologie employée, qui engage souvent notre propre rapport à cet univers : il suffit de songer à des mots comme « sociétés savantes », « historien amateur » ou « histoire locale ». Il serait plus juste de parler d’érudition locale, faisant référence à des pratiques d’érudition qui s’inscrivent plus ou moins dans un modèle disciplinaire établi, mais qui ont en commun l’ancrage dans un lieu ou une région. Pourquoi pratiquer l’érudition locale ? L’investissement dans le passé revêt principalement deux dimensions, toutes deux marques de statut. D’une part, l’histoire locale, activité légitimante, signifie affirmation d’un statut social et culturel. L’érudition locale est certes une activité solitaire (fréquentation des archives), mais en même temps éminemment sociale : elle mobilise un réseau et s’inscrit dans une communauté. La pratique de l’érudition permet de revendiquer son appartenance à une communauté savante et donc de redéfinir son identité en échappant à celle qu’impose une trajectoire professionnelle. Elle constitue aussi un moyen d’accéder à des univers sociaux valorisants et dispensateurs de respectabilité : sociétés historiques étrangères ; milieux universitaires ; institutions patrimoniales officielles. D’autre part, l’histoire locale a précisément comme caractéristique d’être localisée et d’entretenir une revendication d’appartenance locale. La connaissance du passé local vaut démonstration de l’attachement au local. L’analyse proposée par Norbert Elias en termes de relation established-outsiders peut être utilisée. L’acquisition du statut d’érudit local demande avant tout du temps : le savoir s’acquiert par familiarité avec un territoire, maintes fois arpenté et étudié. Ainsi, l’histoire locale, parfois présentée comme facteur de « cohésion sociale », en ce qu’elle renforcerait le sentiment d’appartenance, est aussi potentiellement dangereuse parce qu’elle risque de diviser.
Faire saigner ses racines : archives et généalogie, par Sylvie Sagnes, chargée de recherches au CNRS.
Depuis l’aube des années 1970, la pratique de la généalogie fait l’objet d’un engouement sans précédent en France, confrontant les services d’archives à un public nouveau et sans cesse croissant. À la faveur d’enquêtes conduites dans le Minervois et à Toulouse auprès d’amateurs, isolés ou adhérents de cercles, il s’agit d’abord d’envisager le rapport des généalogistes aux archives autrement que sous l’angle, pratique, du recueil d’informations. Outre son caractère impératif, la dimension symbolique, pour ne pas dire affective, de cette consommation d’archives retiendra notre attention. C’est que, moyen de présentification et d’incorporation de l’ancêtre, « l’archive » et sa reproduction sans fin, sous une forme ou une autre, servent à restaurer dans la conscience des individualités une hérédité oubliée. Point de départ d’une aventure toute en écriture, cette archive inlassablement répliquée joue un rôle dont on ne peut véritablement saisir la portée qu’en l’appréhendant dans le concret de toutes ces productions graphiques. Or leur profusion n’a d’égale que la diversité qui se fait jour d’une entreprise généalogique à l’autre. Chaque reconstitution est singulière, et dans son contenu et dans sa forme, la mise en écriture ne faisant que refléter la manière foncièrement sélective qu’ont les généalogistes d’aborder leur histoire familiale pour, en fin de compte, se raconter eux-mêmes. À titre d’exemple, tel généalogiste, retrouvant plusieurs ancêtres tisserands, y voit une explication de son goût pour le patchwork.
Autographe en même temps qu’autobiographique, lieu de toutes le confession, l’écriture qu’engendre l’archive se fait alors pudique pour se refuser à la lecture et esquisser les contours d’un jardin secret où l’on ne cultive rien d’autre que son seul plaisir narcissique.
Accès aux documents administratifs, accès aux archives : quels publics pour la CADA ? par Elisabeth Rabut, chef de l’inspection générale des Archives de France.
La Commission d’accès aux documents administratifs est une autorité administrative indépendante qui, depuis la dernière réforme de 2005, est chargée de veiller au respect des règles légales d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques. À ce titre, elle émet des avis après un refus de consultation (saisine précontentieuse obligatoire), émet des conseils et recommandations et peut infliger des sanctions. Le nombre d’avis rendus par la CADA était de 5 105 en 2005 (contre 5 467 en 2004). Dans l’ensemble de son action, la Commission s’efforce de faire prévaloir un équilibre entre le principe de transparence de l’action administrative et la nécessaire préservation des secrets protégés par la loi. Les pétitionnaires sont en majorité des personnes physiques : trois quarts des demandes d’avis. Les personnes morales qui demandent des avis à la CADA sont principalement de droit privé (associations notamment), les collectivités publiques ne représentant qu’à peine plus de 1% des avis. Les demandes de conseil proviennent, en revanche, en majorité de collectivités publiques, collectivités territoriales dans les trois quarts des cas. Il est à noter que les demandes d’avis ou de conseils ne sont pas proportionnelles à la population : l’Île-de-France vient en tête avec 33,5% des demandes ; la région des Pays-de-la-Loire revendique 4% des demandes alors qu’elle regroupe 5,4% de la population française. Il arrive aussi que la loi de 1978 soit utilisée par des groupes de pression du style associations pour l’environnement ou associations de défense des contribuables. La CADA est aussi saisie par des « habitués », véritables « harceleurs de l’administration », dont les demandes finissent souvent par être considérées comme abusives.
Si l’on envisage la teneur des avis délivrés par la Commission, on constate que 41 % des avis sont favorables à la communication des documents en cause. Depuis sa création, la CADA a pris le parti de favoriser la communication quitte à l’assortir de clauses restrictives partielles (occultations par exemple). Une part significative des demandes (39,5%) sont déclarées sans objet : désistement du demandeur, document inexistant, document détruit, perdu ou qui est communiqué en cours de procédure. 10% environ des demandes sont irrecevables : demande imprécise, demande ne concernant pas un document administratif mais de la documentation. Dans 5% des cas, la CADA se déclare incompétente : affaire portée devant une juridiction. Les avis défavorables sont fondés pour l’essentiel sur l’atteinte à la vie privée (environ 40%). Les refus fondés sur les secrets liés à la défense nationale et à la politique étrangère sont très rares.
Thème 3 : attirer les publics, ou mais pas à tout prix !
Exposer des documents d’archives : une gageure ? par Ariane James-Sarazin, responsable du département de l’action éducative et culturelle des Archives nationales et du Musée de l’histoire de France.
Il n’est sans doute pas excessif d’affirmer que la politique culturelle des Archives nationales est aujourd’hui tout entière centrée sur une programmation d’expositions temporaires. Cette constatation revêt un caractère paradoxal à au moins trois titres. En premier lieu, exposer un document d’archives, c’est lui imposer un double détournement : un document produit à des fins utilitaires est transformé en un document patrimonial qui devient un objet d’exposition. En second lieu, force est de reconnaître que cet objet d’exposition n’a pas, à la différence d’un objet d’art, de qualités visuelles intrinsèques. C’est que le document d’archives a d’autres atouts, mais son appréhension par le public n’est pas immédiate et nécessite une médiation sans doute plus importante qu’avec des œuvres d’art classiques (déchiffrement, insertion dans un contexte historique). Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi s’acharner et persister à produire des expositions d’archives. Parce que les archivistes, dépositaires d’un patrimoine, ont une mission de restitution au public le plus large. Il ne s’agit même pas ici de valorisation culturelle au sens classique du terme, mais de communication : l’exposition d’archives doit être regardée comme une autre facette de la mission légale de communication, permettant de toucher un autre public que celui des salles de lecture. C’est dans cette perspective que le Musée de l’histoire de France a pris l’habitude de mener des enquêtes de satisfaction auprès des publics des expositions temporaires, par exemple à l’occasion de l’exposition Paris 1730, d’après le plan de Turgot. Ces remarques liminaires rendent encore plus nécessaire le respect de quelques grandes règles dans la préparation d’une exposition d’archives. En premier lieu, il convient de fuir absolument toute tentation d’exhaustivité et de bannir l’esprit d’accumulation qui caractérisait la muséographie du XIXe siècle. En second lieu, on accordera systématiquement la préférence à la présentation de documents originaux : c’est le contact physique avec le document qui attire et mobilise le spectateur. La tentation de mélanger des objets, issus des collections de musées, avec des documents d’archives doit être reconsidérée. Elle a l’inconvénient de donner l’impression que les objets en trois dimensions ont un rôle de cache-misère qui dévalorise les archives exposées. On peut parfaitement faire le pari de ne montrer que des documents écrits (Marie-Antoinette : pièces à conviction).
La réussite de véritables expositions d’archives passe aussi par un certain nombre de conditions. Le choix du sujet doit privilégier l’écoute de la demande sociale, laissant au second plan la fonction de valorisation de la politique de classement du service. Il est souvent payant de labourer les lieux communs de l’histoire, tout en renouvelant le regard et en présentant des documents peu connus. La confrontation des archives avec des modes d’expression culturelle relevant du spectacle vivant peut également être féconde : lecture d’archives des archives départementales de l’Aube ou des Alpes de Haute-Provence ; rencontre avec le regard d’artistes contemporains (exposition Détournements de fonds publics aux Archives nationales ou Plis et déplis aux archives départementales de l’Aube). On peut aussi plaider pour une muséographie audacieuse et décomplexée : l’appartenance au monde des archives n’interdit pas le spectaculaire ou le théâtral. Publics et musées, un exemple à suivre ? par Anne-Pascal Marquet, responsable du service des publics du musée des Beaux-Arts d’Angers.
Plus encore que les archives, les musées dépendent de la question des publics. Pourquoi le public vient-il, que cherche-t-il ? Toute politique des publics passe, dans la sphère muséale, par la réconciliation de deux types d’attentes : celui qui vient pour savoir découvre l’émotion et ceux qui viennent pour l’émotion découvrent le savoir. C’est dans cet esprit qu’un service des publics a été mis en place au sein des musées d’Angers depuis quatre ans. Son action a suivi trois grands axes. La connaissance approfondie des collections est un préalable indispensable. L’étude des publics existant est tout aussi nécessaire. Elle suppose des enquêtes, mais aussi la mise en place de procédures internes, du type fiches de liaison. Fort de cette expertise, le service a entrepris une politique de diversification de la typologie des visiteurs. Plusieurs outils ont été développés à cette fin : fiches de salles, bornes interactives, journaux d’exposition s’efforcent de créer une proximité nouvelle avec chaque catégorie de public. Des offres novatrices sont également construites : ainsi, la nuit des étudiants qui a su rassembler plus de 1 000 visiteurs en une soirée.
Participation du public dans la valorisation des archives en ligne, par Joël Surcouf, directeur des archives départementales de la Mayenne.
La numérisation massive de documents d’archives à partir de 2003, suivie de leur mise en ligne a, dans la Mayenne, été mise en œuvre avec un objectif clair de diminution de la fréquentation de la salle de lecture des archives départementales, arrivée à saturation. On peut donc dire que cette politique a été conduite dans le souci de détourner une partie du public de la salle de lecture physique des archives départementales au profit d’une salle de lecture virtuelle. De ce point de vue, les 1 500 visites quotidiennes enregistrées par le site des archives et les 23 millions d’images consultées en 2006 signent un incontestable succès. Mais il faut aussi observer que la mise en ligne change radicalement le rapport d’un service d’archives avec son public.
Cette extension du public des archives, au-delà des traditionnels habitués, s’accompagne de l’apparition de nouveaux modes relationnels. Les lecteurs s’expriment désormais beaucoup par messagerie, à tout moment et dans tous les fuseaux horaires. Ils signalent erreurs et anomalies, rendant possible le perfectionnement des bases mises en ligne. Ils s’entraident à travers forum et listes de diffusion. Surtout, les archives départementales de la Mayenne ont su répondre positivement au désir de certains lecteurs de participer à des travaux d’enrichissement des données disponibles en ligne. Il en va ainsi des tâches d’indexation. Les archives ont mis en ligne des lots d’images et des lecteurs ont proposé d’indexer eux-mêmes à la page. Le chiffre de 120 000 indexations a été atteint en un an. L’indexation des actes de mariage du XIXe siècle a ainsi fait intervenir 200 bénévoles qui se contrôlaient mutuellement, les archives départementales arbitrant les éventuelles divergences d’appréciation. Le signalement des mentions remarquables des actes (événements climatiques, accidents etc.) s’est construit dans la même relation participative avec le public. Il en va de même pour les listes nominatives. Récemment, le dépouillement des registres d’écrou a permis de faire intervenir une nouvelle catégorie de releveurs, celle des condamnés à des travaux d’intérêt général.
Les enjeux du public pour les bibliothèques : à quel prix ? par Jean-Charles Niclas, directeur de la bibliothèque municipale d’Angers.
Fidéliser et diversifier le public dont les usages et les attentes ont été bouleversés par l’arrivée d’Internet : c’est l’un des enjeux des années à venir pour les bibliothèques. Comment rattraper les lecteurs qui fuient ? À l’heure où l’enquête du CREDOC sur les publics des bibliothèques (enquête qui sera publiée lors du prochain Salon du livre à la fin du mois de mars) semble contredire les mauvais chiffres des statistiques de la direction du livre, force est de constater toutefois que la démocratisation de la lecture semble recueillir de faibles résultats. En s’appuyant sur l’exemple de la bibliothèque municipale d’Angers dont il est le directeur, Jean-Charles Niclas propose d’étudier les pistes qui peuvent permettre de conquérir de nouveaux publics. Mais à quels prix ? L’enjeu est fort mais les débats soulevés sont importants : la gratuité totale ? L’ouverture de nocturnes et des dimanches ? Comment mener des projets au cœur des collectivités territoriales qui se voient confrontées à une gestion financière de plus en plus serrée ? Quelles politiques pour quels publics ? Servir le plus grand nombre ou focaliser des forces sur des publics visés ? Peut-on conjuguer les deux ? Toutes ces questions se posent aujourd’hui dans toutes les bibliothèques municipales de France et au cœur de la profession de bibliothécaires. Elles sont d’autant plus aiguës que la place prise par Internet dans la société de l’information est de plus en plus grande.